« Non, l’eau de Groix ne vient pas des monts d’Arrée, mais uniquement de la pluie que reçoit notre territoire au fil du temps ». Voilà une croyance parmi d’autres que Catherine Robert, ancienne directrice de la Réserve naturelle de Groix, a mis en pièce le samedi 16 septembre dernier au cours de la réunion intitulé « L’eau à Groix, un trésor fragile » organisé par l’Avenir de Groix et qui a réuni une centaine de personnes. Et de l’eau il y en a, contrairement à d’autres îles comme Ouessant, Sein, Houat, et d’autres encore. C’est si vrai «qu’en 1967, a précisé notre intervenante, l’année de la construction du barrage de Port Melin, on recensait 29 fontaines et citernes à Groix». Mieux, au cours des cinquante dernières années une retenue d’eau a pu être créée à Kerlard en 1976, une autre à Kermouzouet après la grande pénurie d’eau de 1989, le tout permettant à l’île d’assurer son autonomie même en période estivale Et tout cela grâce à l’eau tombée du ciel !
Grâce au ciel il est vrai, mais aussi au sol, qui en raison de sa nature géologique (essentiellement des schistes) favorise l’infiltration des eaux de pluie pour alimenter deux nappes phréatiques : la plus proche à 15 mètres de profondeur qui alimente les ruisseaux et l’autre à 100 mètres de profondeur dans laquelle l’eau est puisée mais « où il faudrait il faut pomper avec modération tant les risques de salinisation par infiltration sont importants, ce qui ruinerait définitivement cette réserve» a ajouté Catherine Robert. Voilà l’état du trésor qui repose sous nos pieds et rend la situation de l’île particulière, malgré une pluviométrie (814 mm d’eau par an) moins élevée qu’à Lorient (1030 mm par an) et un ensoleillement (2060 heures/an) légèrement plus élevé qu’à Lorient (1949 h/an) ainsi que des brises de mer (Kleienn)
Pas moins de six crises majeures en cinquante ans
Mais cette richesse est vulnérable, et de plus en plus compte tenu des changements climatiques en cours. Qu’on en juge : durant les douze derniers mois, du printemps 2022 à juillet 2023, deux événements majeurs sont venus nous rappeler combien cette ressource était fragile et réclamait d’être utilisée avec parcimonie : une pénurie, conséquence de la sécheresse à l’été 2022, et une pollution conduisant à une interdiction de consommer l’eau du robinet en juillet 2023.
Pour les besoins d’un livre en préparation, Catherine Robert a fouillé les archives de l’île. Elle a rappelé combien les crises de l’eau qui ont marqué les cinquante dernières années ont poussé à des aménagements destinés à faire face aux besoins. On parle bien sûr de la grande pénurie de 1989 où il a manqué jusqu’à 85% de la ressource en eau et lorsque l’île a été ravitaillée en eau par la marine nationale. Quatre ans auparavant, une sécheresse avait sévi, provoquant le déclenchement d’une alerte, précédée par deux autres, l’une en 1970 et la seconde en 1976. Et c’est ainsi que les trois forages ont vu le jour en même temps que des retenues ont été agrandies et le barrage était créé.
Une anomalie : pas de représentant de Groix dans les structures de gestion de l’eau
Dès lors, au cours de cette réunion, une question devait être posée : comment sont prises les décisions touchant à la gestion de l’eau et par qui, particulièrement en période de crise? Maëlle Turries, chargée de mission à l’association Eaux et rivières de Bretagne y a répondu.
Du niveau européen au niveau local, l’organisation de la gestion de l’eau ressemble à des poupées russes allant du niveau le plus large au plus petit : une directive européenne fixe un cadre général à la loi sur l’eau ; cette dernière donne un cadre aux schémas directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), une sorte de parlement des eaux qui se répartissent le territoire national en 6 régions définies par les grands bassins hydroliques (exemple la SDAGE de la Loire à laquelle la Bretagne est rattachée) et enfin, au plus près des territoires, les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE), Groix faisant partie de la SAGE du Blavet/Scorff. Le pilotage des SDAGE est exercé par des assemblées composées de représentants de l’Etat, de représentants du monde économique, de celui de la pêche et de l’agriculture, d’élus et de représentants des usagers non professionnels, au total 190 représentants. Eau et Rivières dispose d’un siège dans la SDAGE de Loire-Bretagne. C’est à ce dernier niveau, de manière collégiale, que sont décrétés les différents seuils d’alerte (vigilance, alerte simple, alerte renforcée et crise) conduisant à des mesures – prises par le Préfet – de restriction des usages de l’eau.
Selon ce schéma, toutes les décisions sont donc débattues selon des principes démocratiques. D’où l’importance de disposer de représentants bien informés des réalités du terrain. Et c’est là où, concernant les îles en général et Groix en particulier, cette belle organisation est prise en défaut.Savez-vous que, malgré l’existence de 24 sièges accordés aux élus dans la SAGE du Blavet-Scorff dont Groix fait partie, votre île si particulière comme vous l’a présenté Catherine Robert n’est pas représentée ? » Forts de cette information, les élus de l’Avenir de Groix s’efforceront de rectifier la situation dès que l’occasion se présentera.
Comment faire face ?
Comment faire pour tenir compte des évolutions du climat qui risquent fort de voir se multiplier les crises ? Car, comme l’a expliqué Elias Ganivet, chercheur à l’Université de Rennes, « l’élévation des températures, l’augmentation des précipitations estivales, la survenue d’événements climatiques extrêmes, la baisse du niveau des nappes phréatiques, tout cela est certain pour les trente prochaines années dans bassin de Lorient». À l’appui de ce constat alarmant, il a rassemblé tout un tas de données sur le climat des années 70 à nos jours concernant le territoire de l’agglomération de Lorient, un travail unique en son genre et qui a permis à l’Agglo de mettre en place un plan de résilience eau 2023-2024 . « Nous nous sommes attachés à associer à nos travaux tous les acteurs de l’eau, institutionnels comme usagers, a-t-il précisé. C’est une procédure indispensable pour mobiliser tout le monde et avoir une chance pour que les conclusions soient partagées. »
Les conclusions, les voici :
Ces conclusions ne pouvaient que conforter les propos de Michel Renault, secrétaire de l’association Saint-Gunthiern. « Le nombre de fontaines et de lavoirs qui couvrent l’île est la preuve de notre richesse en eau, a-t-il rapporté. Sauf que 67% d’entre elles ont été détruites. » Il a cité comme exemple la zone humide située à l’emplacement du parking de la salle des fêtes où la source qui l’alimentait a été enfermée. « De plus, a-t-il ajouté, beaucoup de ruisseaux ont été busés, moyennant quoi beaucoup d’eau tombée du ciel repart à la mer, c’est autant de ressource perdue qui ne va pas alimenter la nappe phréatique. » Et de conclure : « on devrait pouvoir récupérer ces eaux de pluie par une remise en circuit».
Les idées pour économiser l’eau et récupérer l’eau de pluie ne manquent pas, comme par exemple la généralisation de récupérateurs d’eau dans les maisons. Mais
l’ensemble des intervenants se sont entendus pour affirmer que pour faire face aux enjeux climatiques de manière efficace, il faudra en passer par un travail collectif, où tous les usagers de l’eau devront être consultés et associés aux décisions. Groix se prête particulièrement à ce genre d’exercice, compte tenu de son territoire limité et de l’intérêt pour les affaires publiques que manifeste sa population. Nous en voulons pour preuve le nombre de participants qui se sont rendus à notre réunion du 16 septembre dernier, ce dont nous les remercions chaleureusement.