Le Conseil municipal du 10 avril dernier est historique. D’une part parce que le maire Dominique Yvon y a annoncé sa démission à quelques mois de la fin de son mandat après 23 ans de service. Et d’autre part, parce qu’avec un excédent de fonctionnement pour 2024 de près de 1,5 million d’euro auquel s’ajoute les excédents des deux années précédentes, le compte administratif (l’équivalent du bilan annuel d’une entreprise) inscrit à l’ordre du jour est, de manière plus flagrante que jamais, l’expression de la stratégie budgétaire qui a été mise en œuvre par la majorité depuis le début du mandat. En gros, cette stratégie consiste à optimiser les recettes de fonctionnement à travers diverses dotations – dont la fameuse dotation Valls destinée à compenser les surcoûts dûs à l’insularité – et dégager un maximum d’excédents destinés à financer les investissements d’équipement des années à venir. Le résultat cumulé inscrit au compte de 2024 est d’environ 3,9 millions, en augmentation de près de 50% par rapport à 2023 et correspondant à plus de 80% de ce que la commune perçoit chaque année pour son fonctionnement. L’ennui est que cette épargne au montant flatteur accumulé pour le futur se fait au détriment d’actions qui devraient être menées pour les besoins de la vie quotidienne des citoyens. Si nous étions une famille ou une entreprise, il n’y aurait qu’à se féliciter d’une telle stratégie : les caisses sont pleines et il y a de quoi faire face aux accidents de la vie. Mais nous sommes une commune dont les recettes sont alimentées principalement par l’impôt. Et si nous devons aux citoyens des équipements facilitant leur vie, nous nous devons de satisfaire en même temps leurs besoins au jour le jour, avec le devoir de trouver un équilibre entre ces deux missions. Or, il y a de grosses failles dans le second domaine que le budget de fonctionnement fortement excédentaire de la commune aurait pu combler en 2024 comme lors des années précédentes.
Légères nos positions? Non, plus justes
Face à nos propos lors de ce conseil du 10 avril, le maire, repris sans nuance ni recul par le Télégramme (11/04/25), s’est amusé de notre analyse, rappelant sa gestion « en bon père de famille » : « C’est la première fois que j’entends dire qu’on a trop d’argent ! » a-t-il répliqué. Amusant, mais faux : nous le mettons en garde depuis le début du mandat tout comme la Chambre régionale des comptes dans son rapport datant de 2022. Pourtant, les faits sont têtus.
Par exemple, la municipalité délègue la culture aux associations. Très bien. Mais alors, pourquoi ne pas les soutenir massivement et accompagner vigoureusement leurs projets puisque la commune en a les moyens et reçoit des fonds destinés à compenser l’insularité? Au lieu de cela, vous les étouffez en leur reprenant d’une main ce que vous leur avez donné de l’autre à travers des tarifs insupportables de prestations (location de salles, mise à disposition du personnel de la municipalité, etc.).
Un autre exemple. Où se cache la politique de développement de l’activité sportive non seulement pour les jeunes, mais aussi pour les adultes? Aucune trace dans le bilan 2024 ni dans le budget 2025.
Autre exemple encore. La part de l’activité touristique est chaque année plus importante dans l’économie de l’île. Pour assurer une vie économique à l’année, et éviter les inconvénients du sur-tourisme que tout le monde redoute, il faut soutenir l’économie durable de l’île à travers l’artisanat, l’agriculture, et des activités de transformation de ses produits. Nous pourrions mettre en œuvre un plan de soutien et d’accompagnement à ce type d’économie, les diverses dotations qui constituent le budget de fonctionnement le permettent. Où est-il dans ces comptes ?
Et l’adaptation aux changements climatiques dans tout ça?
Continuons. La commune agit en faveur de l’environnement et de la sobriété énergétique en engageant d’importants travaux visant l’isolation des bâtiments. Très bien, bon choix, cela s’impose même. Mais pourquoi, grâce à l’argent dont nous disposons, ne pas avoir poursuivi ces actions en faveur de l’autonomie énergétique telle qu’elle avait été envisagée à travers l’installation de panneaux photovoltaïques sur le toit de l’Ehpad puis différées en raison de recours pour malfaçon ? Pourtant l’urgence consécutive à la flambée du prix de l’énergie en 2023 commandait d’agir sur la facture d’électricité . D’autres solutions auraient pu être envisagées, comme l’installation de panneaux sur le toit de la salle des fêtes quitte à en adapter la structure. Ou bien encore sur le toit de la toute neuve Modern’Shtouilh dont la charpente a été modifiée en cours de construction pour supporter des panneaux photovoltaïques à la demande d’un des élus de l’opposition.
Toujours au même chapitre, s’agissant du renouvellement du parc automobile de la commune et du prix élevé du carburant, le choix ambitieux de véhicules électriques s’imposait, plus chers certes, mais plus vertueux au regard de la transition énergétique.
On pourrait poursuivre ainsi sur bien des chapitres de ce compte administratif. À propos de la voirie notamment et des dégâts qu’elle subit du fait du changement climatique qui n’ont pas été envisagés lors du gros chantier de rénovation en 2019. Des dégâts que nous avions anticipés puisque qu’à l’époque nous proposions d’emprunter davantage pour mieux aménager les bas-côtés et ainsi éviter les inondations que nous avons connues cet hiver.
Un désaccord profond sur la stratégie budgétaire
Pour résumer, notre position est radicalement différente de celle de la majorité. Non pas que nous ayons comme ambition de creuser le déficit de la commune en engageant des projets pharaoniques. Ce que nous proposons est modeste, raisonnable et guidé par le souci d’un équilibre différent entre l’action et l’épargne de précaution: nous considérons que l’effort qui a été fait par la majorité pour développer au maximum les marges d’autofinancement est disproportionnée au regard des attentes actuelles et futures des citoyens qui, rappelons-le abondent le budget de la commune par leur impôt.
Avec de tels excédents reportés d’une année sur l’autre, ils seraient en droit d’exiger une baisse des impôts comme le suggérait en son temps, la chambre régionale des comptes. Sauf si la commune leur apporte la preuve tangible que leur contribution est nécessaire car utilisée au mieux de leur attentes et non, pour une trop grosse part, pour gonfler l’épargne de la commune.
Pour toutes ces raisons les trois élus de l’opposition se sont abstenus sur le vote du compte administratif comme sur celui du budget primitif 2025.