Malgré les mises en garde du notaire qui a préparé le nouveau contrat de location, ni la commune ni le nouveau locataire n’ont cru bon d’actualiser un diagnostic amiante datant de… 2003, pourtant obligatoire lors d’une vente ou d’une location. Que s’est-il passé ? Nous avons saisi le Préfet pour un contrôle de légalité qui n’a pas donné suite.
Depuis une quarantaine d’années un centre de vacances concédé par la commune à l’association VVF (Village Vacances Famille) est implanté dans un site sublime de l’île. Le bail est arrivé à échéance en 2022, il a été prolongé d’une année pour cause de Covid, et de quelques mois encore pour se donner le temps de mettre en route un processus d’appel à projet. Tout a été fait dans les règles, y compris au niveau politique puisqu’une commission a été créée dans laquelle le maire a demandé à un élu d’opposition de siéger.
Deux candidats crédibles ont émergé du processus, le VVF qui souhaitait prolonger l’exploitation moyennant de sérieux travaux de remise aux normes du tourisme contemporain, et un groupe hôtelier de Lorient, Kerjouan, propriétaire du Mercure de Lorient et de quelques Ibis dont celui de la place d’Italie à Paris.
Au final, en novembre 2023, VVF a été écarté au profit du groupe Joker. Nous nous sommes opposé à ce choix au motif que la proposition de VFF était plus favorable à la commune, bien que Joker propose de payer un loyer supérieur à celui proposé par VVF. Nous avons été le seuls à voter contre.
Groisiker renégocie le contrat
Cinq mois plus tard, à l’occasion du conseil municipal du 11/04/2024, le maire a présenté une délibération révisant le contrat passé avec Kerjouan. Le bail emphytéotique passerait de 40 ans à 50 ans, la redevance passerait de 3% du CA à 1,5% avec un plancher passant de 35000 euros à 20 000 euros. Au passage signalons que ce nouveau niveau de loyer revient à la proposition de VVF, considérée comme insuffisante pour la majorité du conseil. Perte pour la commune: 18.867 euros par an soit 1.275.000 euros sur la durée total du bail par rapport au contrat originel (calcul réalisé sur la base du budget prévisionnel fourni par Joker). Pour quelle raison ce changement de pied ? De l’amiante a été découverte dans les murs de certains bungalows, s’ajoutant à celle présente dans les toitures bien identifiée lors de la signature du bail.
Pour Groisiker, la nouvelle société crée pour l’occasion par Joker, le caractère « imprévisible » de la présence d’amiante dans certains murs des bungalows a justifié la modification des conditions du loyer versé à la commune ainsi qu’à la durée du bail.
« Imprévisible » ? Au vu des documents présenté ce jour-là au conseil, c’était plausible. Mais, en réalité, tout ce qui aurait permis aux conseillers de se faire une opinion n’a pas été portés à leur connaissance avant et lors du débat.
C’est ainsi que nous avons appris en séance que le diagnostic amiante obligatoire lors d’une vente ou d’une location de ce type datait de 2003, sans actualisation pourtant imposée par la loi. Légalement, cette date aurait dû être indiquée sur le bail tel qu’il a été communiqué au Conseil en novembre 2023. Vérification faite après-coup, nous nous sommes aperçu que la date avait été laissée en blanc et que le diagnostic était annoncé comme étant annexé au bail, ce qui n’a pas été le cas. Autrement dit le vote de novembre 2023 a réalisé en partie à l’aveugle, prenant en défaut notre vigilance.
Quelques jours après la séance du Conseil, nous avons demandé et obtenu le rapport de diagnostic. Or, il est clairement indiqué qu’un tel diagnostic ne concernait que les matériaux accessibles au jour de la visite. Et le rapporteur de conclure : « Il conviendra donc, en cas de travaux, de s’assurer, par la mise en place d’un diagnostic complémentaire, de l’absence de ces matériaux dans les parties non accessibles (…) ou dans les sous-surfaces de revêtement de sol. » Pas plus la commune que Groisiker ne pouvait donc ignorer le risque de présence d’amiante ailleurs que sur les toits. Ce qui contredit le caractère « imprévisible » de la présence d’amiante dans les murs.
Sans surprise, le maire n’a pas donné suite, tout en reconnaissant des erreurs partagées entre la municipalité et le locataire, justifiant ainsi le partage du coût du désamiantage.
Sauf que dans cette négociation la commune perd une somme rondelette (voir plus haut) quand Grosiker en économise autant. Sachant que le locataire a fait estimer le montant des travaux à 1,4 million, en 50 ans d’exploitation Groisiker n’aura en réalité déboursé que 125.000 euros, soit 2500 euros par an. Le reste revenant à la commune sous forme de manque à gagner. Pas des quoi remettre en cause l’équilibre du projet, contrairement à ce que les dirigeants de Groisiker ont affirmé à la municipalité menaçant de se retirer du projet.
Les lourdeurs de l’organisation de la Préfecture
Conclusion : Nous avons saisi le Préfet du Morbihan pour lui demander d’exercer « un contrôle de légalité », preuves à l’appui, une procédure définie par l’article 72 de la Constitution.
Au moment où nous nous apprêtions à publier cet article, les services préfectoraux nous ont informé du rejet de notre demande, justifié par une arrivée hors délais dans ses services. Curieux argument alors que nous avons envoyé notre dossier complet sous forme numérique le 16 juin 2024, la date limite étant le 18 juin. Pour étayer notre étonnement provoqué par cette fin de non-recevoir, voici quelques extraits du contenu du mail de réponse de la Préfecture.
(…) Vous m’informez que les conseillers municipaux ont découvert au cours de la séance du conseil municipal du 11 avril 2024 que le diagnostic concernant le repérage d’amiante dans les bâtiments du village vacances de Groix a été réalisé en octobre 2003.
Par conséquent, vous concluez que « la délibération ne nous semble pas s’être déroulée dans des conditions permettant aux conseillers de décider en conscience
du bien fondé de la demande de modification du contrat. En outre, les règles suivantes nous semblent avoir été enfreint :
- Non fourniture du diagnostic amiante avant élaboration du contrat
- Non actualisation du diagnostic datant de 2003 malgré l’alerte du notaire
- Qualification erronée de la présence d’amiante dans les murs jugée imprévisible et pourtant prévisible
- Non-respect des clauses du contrat portant sur le financement des travaux
- Défaut d’information des élus »
Dans ce contexte, vous demandez à M. le Préfet d’exercer un contrôle de légalité, sur la délibération n°CM_2024_27 adoptée par le conseil municipal de Groix le 11 avril 2024.
Je suis en mesure de vous apporter les précisions suivantes :
En application de l’article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) précise que : « Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu’il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu’à leur transmission au représentant de l’État dans le département ou à son délégué dans l’arrondissement ».
Par ailleurs, l’article L 2131-2 du CGCT dispose que « sont soumis aux dispositions de l’article L. 2131-1 les actes suivants : 1° Les délibérations du conseil municipal [sous réserve de quelques exceptions liées à l’objet de la délibération] ».
Ainsi, pour être exécutoires, les délibérations doivent donc être publiées et transmises au préfet de département. Le juge a eu l’occasion de préciser que : « le délai de deux mois prévu à l’article [L. 2131-6] du code général des collectivités territoriales court à compter de la date à laquelle cet acte a été reçu par le préfet de département, en préfecture, ou le sous-préfet d’arrondissement compétent, en sous-préfecture ». (cf. CE 6 juillet 2007, n° 298744).
Par conséquent, au regard de ce qui précède, il faut entendre par « transmission », la réception effective de la délibération par le représentant de l’État dans le département.
Dans le cas d’espèce, la délibération n°CM_2024_27 adoptée par le conseil municipal le 11 avril 2024 a été transmise au contrôle de légalité le 17 avril 2024.
Conformément à l’article L 2131-6 du CGCT, le Préfet du Morbihan disposait de deux mois pour procéder au contrôle de légalité et éventuellement saisir le Tribunal Administratif à compter de cette date.
La date limite de recours était donc fixée au 18 juin 2024.
Cependant, j’ai le regret de vous informer que votre courriel adressé initialement sur la boîte fonctionnelle de la préfecture a été réceptionné sur la boîte fonctionnelle du bureau du conseil et du contrôle de légalité le 19 juin 2024.
Par conséquent, je ne suis pas en mesure de donner suite à votre demande. »
Circulez, y’a rien à voir. Un détail cependant, la seule adresse du Préfet accessible par les citoyens est celle de la Préfecture. Il aurait fallu trois jours pour qu’un fichier numérique passe de l’accueil au service spécialisé? Le fichier a peut-être pris les escaliers en s’arrêtant à la machine à café, qui sait? Quant à l’existence de ce service spécialisé, elle n’est mentionnée nulle part sur le site internet de la Préfecture, et encore moins son adresse mail. Bizarre.
Cet article a été modifié le 26/09/2024