Il se passe de drôles de choses à Groix, sans que la presse locale n’en rende compte. Ici, quelques jours avant Noël, on convoque à la gendarmerie une septuagénaire et un octogénaire pour leur infliger un interrogatoire musclé comme s’il s’agissait de délinquants ordinaires. Leur délit ? Avoir déplacé – il est vrai sans trop de précautions – une table de jardin, des pots de fleurs, une corde et quelques piquets en bois qui les empêchait d’emprunter l’étroite rue du Large à Locmaria. Ce qui leur a valu une plainte pour vol déposée par la propriétaire de ce bric-à-brac qui avait filmé la scène à l’aide d’une caméra de surveillance installée derrière ses fenêtres. On croit rêver : la force publique se met en branle pour quelques piquets en bois disparus… et retrouvés plus tard dans sur un terrain voisin appartenant à la personne qui a porté plainte !
Mais voilà, cette histoire a des racines profondes. En effet, dans le haut de cette rue qui relie la rue Tromor à celle du Liaker, se joue depuis trois ans un conflit qui est en réalité le produit d’une accumulation d’erreurs administratives. Au fil des mois, sous le regard désinvolte des autorités municipales qui n’ignoraient rien du caractère explosif de la situation, une histoire digne d’un théâtre de Guignol s’est construite. A la longue, elle a fini par empoisonner tout le quartier.
Il y a trois ans donc, une habitante du haut de la rue s’est mise en tête de revendiquer la propriété d’un espace situé devant chez elle, excédée de l’occupation du lieu par trop de voitures. Problème, l’espace en question se confond avec la rue, une voie publique en réalité. Mais sûre de son bon droit, elle s’est appuyé sur un acte notarié lui attribuant une parcelle empiétant sur la rue Large. Moyennant quoi, pour marquer sa propriété, elle a purement et simplement barré la rue l’aide de palettes, empêchant les riverains de circuler d’une extrémité à l’autre de la rue pour vaquer à leurs occupations.
Le ton est très vite monté entre voisins qui ne l’entendaient pas de cette oreille. Au point qu’une plainte a été déposée suivie d’un procès lui contestant la propriété de cet espace. La justice a tranché : le bout de terrain qu’elle revendiquait ne lui appartient pas, car il est apparu qu’une erreur s’était glissée dans le cadastre lors d’un remaniement cadastral dans les années 70, erreur entérinée un peu légèrement (et même sans justification légale) par un adjoint au maire de l’époque, mais qu’aucun acte notarié n’avait confirmé. Pis encore, l’espace en question est bien une voie publique est doit donc être laissée libre à la circulation. La mémoire collective était donc fidèle, cette rue avait toujours servi à relier la rue du Tromor à celle de Liaker.
Une barricade bloque la voie publique
Mais alors pourquoi cette habitante a-t-elle campé avec autant d’énergie sur sa position ? En réalité, parce que, prudente, en juillet 2019, elle a sollicité la mairie pour obtenir une autorisation d’ériger à cette endroit une barrière de 3 mètres de long et haute de 90 centimètres équipée d’un portillon. Ce à quoi il lui est répondu par un arrêté du l9 juillet 2019 signé d’un adjoint au maire que « compte tenu de conflit majeur avec le voisinage que le projet risque de provoquer », un « sursis à statuer » valable deux ans est prononcé. Autrement dit, l’adjoint au maire a flairé l’embrouille, et n’a provisoirement pas donné son accord.
De barrière il n’y a donc pas eu. Mais à la place, c’est une barricade qui a été érigée à l’aide de palettes. Et qui fit la mairie qui pourtant avait publié un arrêté on ne peut plus clair au regard de l’ordre public ? Rien, tolérant une barricade, malgré les protestations des riverains, pas plus après le jugement du tribunal qu’avant . Il a fallu attendre deux ans pour qu’une pétition signée de trois cents personnes issues de tous les villages de l’île s’appuyant et réclamant le libre passage atterrisse sur le bureau du maire pour que ce dernier dépêche le policier municipal accompagné des gendarmes afin de lever le barrage. Furieuse, l’habitante déboutée a réduit le passage à son strict minimum à l’aide de la fameuse table de jardin et de quelques pots de fleurs, déclenchant ainsi la mauvaise humeur de ses voisins et leur intervention un peu brutale qui a eu comme conséquence la plainte pour vol.
Une perquisition pour un pied de table disparu
Dès le lendemain du dépôt de plainte pour vol, les gendarmes, décidemment très réactifs, ont débarqué au domicile des personnes concernées pour fouiller leur maison à la recherche d’indices matérialisant le vol, un bout de bois, un pied de chaise, qu’importe. La fouille s’est en fait déroulée sans mandat, ce que les gendarmes ont couvert en faisant signer une autorisation de fouille après la visite des lieux à des personnes âgées vulnérables sous le choc d’une telle descente de police. Bredouilles, leur chef a demandé aux deux personnes de se rendre à la gendarmerie le lendemain. Là, le grand jeu a commencé, laissant les deux « suspects » choqués et angoissés.
Les forces de l’ordre ont-elles usé de moyens proportionnés pour mener leur enquête pour un peu de mobilier malmené ? A l’évidence non. Quelles consignes ont-elles reçues de la justice à qui la plainte a été adressée pour traiter ainsi des personnes âgées et fragiles ? Mystère. Aux autorités locales de nous apporter la réponse.
Cette histoire aurait pu tenir en quelques lignes : une erreur de transcription de cadastre suivi d’un abus de pouvoir d’un adjoint au maire ont conduit une habitante à revendiquer la propriété d’un espace qui en réalité est public. Les autorités locales interpelées flairent un possible et grave conflit de voisinage, mais n’interviennent pas face au coup de force de l’habitante. La justice tranche sans que les autorités locales ne se soucient de faire appliquer la décision. Et c’est ainsi qu’au summum de la crise des gendarmes intimident des voisins réclamant le rétablissement de leurs droits, usant de méthode peu adaptée à la situation et à l’âge des personnes concernées. Une banale histoire de voisinage ? Un fait divers clochemerlesque qui ne mériterait pas deux lignes dans un journal local? Non, un scandale de la vie communale où l’on peut barrer une voie publique pour se l’approprier sans que le maire ne s’en émeuve malgré la connaissance qu’il avait du caractère publique de la rue, ce que souligne un peu plus encore la décision de la Cour d’Appel du 24 janvier dernier confirmant le jugement de premier instance : la rue Large devra être totalement libre au plus tard à la fin du mois de février. A la date du 4 mars 2022, date à laquelle ces lignes sont écrites, elle l’est. Il fallait que ce soit dit et écrit, nous le faisons.
Reste que la spirale de tensions physiques et psychologiques dans laquelle se sont trouvés précipités les habitants de cette rue du Large est désastreuse. D’un côté, une personne sûre de son bon droit, bien que contesté par la justice, use de méthodes agressives pour intimider ses voisins, de l’autre lesdits voisins qui parfois perdent patience et font voler des noms d’oiseau et qui vivent désormais dans l’angoisse de poursuites pénales, bien qu’ils aient reçu des assurances du maire sur l’absence de suites. Voilà comment naissent les conflits de territoires. D’autres lieux sont l’objet de conflits identiques à travers l’île, produit d’un mode de vie ancestrale où la solidarité et le dialogue entre voisins étaient la règle. Pour qu’une telle triste guignolade ne se reproduise pas, nos autorités seraient bien inspirées de s’en saisir au plus vite, à la différence de ce qui s’est passé rue du Large.