Dans l’épisode 3 nous avions vu que des objets, même très grands, pouvaient finir par disparaître de notre vue du fait de la rotondité de la terre. Et dans l’épisode 4 nous avons vu que si la terre était plate ou si les objets volaient (comme les avions, ou plus loin la station spatiale internationale, par exemple) nous ne les verrions pas pour autant jusqu’à l’infini.
Mais comme nous le constations à la fin de l’article précédent, le sommet d’un objet terrestre ou marin disparaît beaucoup plus vite de notre vue du fait de la rotondité de la terre que du fait des limites de notre vision. Alors pourquoi aborder ce sujet dans l’article précédent ? Tout simplement parce que l’attention de tous s’est focalisée sur la grande hauteur des éoliennes dont il est question dans le projet « Groix-Belle-Île ».
Pour commencer, une petite anecdote. Depuis des décennies, court une fable qui refait surface à intervalles plus ou moins réguliers, concernant la grande muraille de Chine, prétendument le seul édifice humain visible à l’œil nu depuis la lune. Évidemment, cette affirmation est absurde.
Certains, essayant de redorer le blason de cette fable, ont suggéré ensuite qu’il fallait comprendre « depuis la station spatiale ». Manque de pot, c’est tout aussi invraisemblable, et cela a été démenti à plusieurs reprises par la plupart des visiteurs de la station spatiale internationale. C’est en effet impossible, et nous allons voir pourquoi avant de revenir à nos éoliennes.
Pour savoir si un objet est visible encore faut-il considérer toutes ses dimensions. Si nous suspendions devant nous 2 m de fil à coudre, il suffirait de reculer pas bien loin pour cesser de le voir, et ceci malgré ses 10 m de long. Concrètement, ce que nous avons vu dans l’épisode précédent signifie que la distance limite de vision d’un objet d’une dizaine de mètres de large se situe aux alentours d’une trentaine de kilomètres. La station spatiale internationale est située à plus de 400 km d’altitude. Cela implique que la taille des plus petits objets ronds ou carrés visibles est d’un peu plus d’une centaine de mètres. Par exemple, les pyramides de Khéops et Khéphren (pyramides carrées d’environ 230 et 215 m de côté, respectivement) à Gizeh sont visibles de là-haut.
La grande muraille de Chine a beau être longue de milliers de kilomètres, elle n’en disparaît pas moins aux yeux des hommes très rapidement dès qu’on s’en éloigne. Haute au maximum de 7 m et large d’au plus 5 m, même si on la regarde sous l’angle le plus favorable, l’emprise sur le paysage reste en dessous des 10 m de large et donc au-delà d’une trentaine de km elle disparaît de notre vue. Alors à 400 km de distance… Sans commentaires !
Qu’en est-il alors de nos éoliennes ? Eh bien il en va de même pour elles. Si on veut pouvoir raisonner sur leur visibilité, il faut également s’intéresser à leur diamètre ; quant aux pales il en va de même, il faudrait savoir quelle est exactement leur largeur.
Ces données ne figurant malheureusement pas dans le dossier de la consultation publique (pourquoi d’ailleurs ?) il nous a fallu recourir à un expédient pour pouvoir s’en faire au moins une idée approximative, à partir d’une photo de l’éolienne Haliade-X 12 MW, téléchargeable sur le site de General Electric(1).
À partir de cette photo, placée dans un logiciel de dessin et de la hauteur connue du mât (150 m) nous pouvons faire une estimation grossière du diamètre du mât à sa base. Ce n’est pas formidable mais cela donne un ordre de grandeur acceptable qui suffit pour la démonstration qui va suivre.
La sélection rectangulaire qui encadre tant bien que mal le mât de cette photo, dans le logiciel de dessin, fait 34 pixels x 462 pixels. Sans le biais de l’angle de prise de vue, cela donnerait une largeur de : 150 m x 34 px / 462 px = 11 m. Comme la déformation hauteur/largeur ne peut que défavoriser la hauteur, cette valeur est calculée par excès, tant mieux, on ne pourra pas penser que je cherche à minimiser l’impact sur le paysage.
Faisons comme si cette valeur était la valeur exacte du diamètre ; à partir de quelle distance le mât cesserait-il d’être visible pour l’œil humain ? Reprenons les données fournies dans l’article précédent. Pour un pouvoir séparateur de l’œil humain de 0,017 degrés un objet de 11 m de large ne pourra plus être distingué à partir de 33 km environ. On pourrait ajouter qu’à cette distance, la base du mât a disparu sous l’horizon et que la portion restante est de diamètre moindre, mais nous en sommes à un tel niveau d’approximation que ce serait ridicule d’essayer de mégoter sur quelques décimètres.
Dans l’article n° 3 sur la courbure terrestre et le passage sous l’horizon nous constations que la disparition d’une éolienne de 260 m sous l’horizon d’une personne située sur nos falaises se situerait à plus de 80 km de nos côtes. Mais ce que nous voyons aujourd’hui, c’est qu’en réalité cette éolienne devient invisible bien avant pour notre œil, qui n’a rien de bionique, du fait de son « faible » diamètre.
Conclusion : la rétine de notre œil est un espace à deux dimensions et il n’est pas toujours pertinent de se focaliser sur la hauteur ou la longueur d’un objet. Tout dépend de ce que l’on cherche à démontrer.
Nous avons déjà fait un bon tour des questions de visibilité en mer. Il serait fastidieux et hors de nos compétences de vouloir prétendre à l’exhaustivité en la matière. Nous aborderons cependant dans un 6e et dernier article quelques éléments de réflexion complémentaires sur certains facteurs augmentant ou diminuant cette visibilité.
(1) https://www.ge.com/news/press-releases/haliade-x-12-mw-de-ge-eolienne-la-plus-puissante-au-monde-produit-son-premier
(attention le fichier à télécharger est très gros, plus de 30 Mo)
Crédit photo : d’après une œuvre originale de Nicolas Perrault III
Épisode 6 à venir…